Dans le paysage du sport motocycliste, un chapitre novateur s’ouvre avec le lancement du premier championnat mondial féminin de moto. Lors de la première manche qui s’est tenue à Misano, une vingtaine de pionnières ont pris position sur la ligne de départ, prêtes à faire résonner leurs moteurs sur le circuit. Parmi ces passionnées, figures deux Françaises : Ornella Ongaro et Emily Bondi. Pilote talentueuse des Zelos Classic 21 Black Knights, Emily Bondi a partagé avec Women Sports ses débuts hors du commun dans cet univers, ainsi que les défis qu’elle a affrontés, notamment une blessure sérieuse en début de championnat.
Emily Bondi : Une passion née sur le bitume
WOMEN SPORTS : Émily, pourriez-vous retracer vos premiers pas dans le monde de la moto ?
EMILY BONDI : Depuis l’enfance, j’étais souvent perchée à l’arrière des motos de mes parents. J’étais si petite que je me nichais sur le réservoir devant ma maman. Mon véritable coup de foudre pour la moto a eu lieu après l’obtention de mon permis. Philippe Monneret, ancien pilote, m’a invité sur son circuit en guise de remerciement pour la promotion que j’avais faite de son école de moto. Je suis allée, d’abord par courtoisie, mais une fois sur la piste, j’étais conquise et je ne suis plus jamais partie.
Et la compétition est venue rapidement après ?
Effectivement, tout s’est passé très vite. En avril 2023, encouragée par mon compagnon, un ex-champion de motocross, je me suis inscrite au Championnat de France de vitesse féminin. Je n’étais même pas au courant qu’un tel championnat existait ! Malgré un départ difficile pour ma première course, j’ai décroché la troisième place. C’est ça qui m’a fait réaliser qu’il y avait peut-être un potentiel à exploiter (rires). Cette réussite m’a motivée à m’entraîner sérieusement, ce qui a mené à plusieurs victoires et, finalement, au titre de championne de France dès ma première saison.
Votre progression semble presque irréelle. Comment expliquez-vous cette aisance ?
(Rires) J’ai toujours évolué dans le sport à un haut niveau. Avant la moto, j’ai été championne de France de horseball, et j’ai concouru dans des disciplines aussi variées que le jet-ski, la natation ou encore le basket. Le sport est un univers qui m’est familier. En me tournant vers la moto, j’ai simplement mis en pratique les principes appris ailleurs : rigueur, entraînement intensif et détermination.
Quel lien faites-vous entre ces disciplines et la moto ?
Chacune de ces activités m’a enseigné l’importance de l’harmonie avec l’élément que l’on contrôle, que ce soit un cheval, un jet-ski ou une moto. Découvrir la moto était une nouveauté, mais j’ai rapidement retrouvé cette même synchronisation. Et bien sûr, l’équilibre joue toujours un rôle fondamental.
Malgré votre ascension fulgurante, avez-vous rencontré des difficultés ?
Tout n’est pas toujours aussi simple qu’il n’y paraît. La moto exige des ressources financières considérables et assurer la continuité de ma carrière a été un combat. À 21 ans, j’ai dû me détacher pour chercher des sponsors. J’ai tenté de convaincre des entreprises en soulignant le potentiel de soutenir une sportive visible sur les réseaux sociaux. Avec beaucoup de persévérance, j’ai réussi, mais cela a occasionné énormément de stress.
Psychologiquement, la montée en popularité s’accompagne aussi de critiques et de jalousies. Il faut être solide mentalement. Sans compter les chutes. Je me souviens en particulier d’une qui a failli compromettre ma participation lors de la finale du Championnat de France…
Vous êtes maintenant impliquée dans le premier championnat mondial féminin de moto…
Mon succès rapide en France a attiré l’attention sur moi. Avec l’aide de mon management, Zelos, qui est aussi mon principal sponsor, j’ai pu postuler auprès de Dorna Sports, la société qui gère le MotoGP. Quelques mois en arrière, je ne pouvais même pas imaginer ce monde où les femmes pilotaient des motos (rires). Mais cette opportunité a été une véritable chance.
Le niveau de cette compétition mondiale est-il élevé ?
Le championnat rassemble les meilleures, comme Ana Carrasco, championne mondiale en 300 cm3 masculin. María Herrera, une compétitrice en MotoGP catégorie électrique, n’en est pas très loin. Il y a même la quadruple championne d’Europe. Le niveau est extrêmement élevé, et aujourd’hui, les premières places ne sont pas encore à ma portée. Ce n’est pas surprenant, cela fait à peine un an que je pilote, alors que nos parcours sont très différents en termes d’expérience.
Les débuts ont-ils été difficiles ?
Lors des entraînements, une erreur de jugement m’a coûté une fracture à la cheville gauche, juste un mois avant le début du championnat. Cette blessure fut une véritable épreuve : incapable de marcher et les médecins rechignant à opérer. Ils craignaient que je ne puisse jamais remarcher. Un scénario de quatre mois de plâtre s’esquissait et un forfait pour l’année semblait inévitable. Mais je ne pouvais me résoudre à cette issue. Finalement, j’ai trouvé un chirurgien prêt à m’opérer, suivie d’une longue rééducation.
Un départ chaotique…
La blessure m’a éloignée des pré-tests. Tandis que les autres concurrentes découvraient et testaient leurs R7, j’étais allongée dans une chambre d’hôpital. Nous avons lutté jusqu’au bout et, au moment du coup d’envoi du championnat, je dépendais encore des béquilles. Lors de la première course, aidée pour monter sur ma moto, j’étais encore en convalescence. J’ai terminé 15e malgré tout. Cependant, la douleur m’a forcée à abandonner la deuxième course du week-end.
Quels sont vos aspirations pour l’avenir ?
À moyen et long terme, j’espère rattraper mon retard et les années perdues. Cette première année doit être un tremplin pour apprendre des meilleures. J’ai comme objectif de viser le top 10 régulièrement (rires).
Croyez-vous qu’un jour, des femmes courront en MotoGP ?
Le mouvement tend de plus en plus vers cette direction. Des pilotes féminines talentueuses pourraient s’imposer. Il est essentiel de souligner que le MotoGP n’est pas un domaine masculin, mais ouvert à tous. Il est crucial d’inspirer toutes ces jeunes femmes à croire en leurs rêves et à travailler dur pour les réaliser. Mon chemin atypique, sans engagement dans des championnats dès le jeune âge, peut servir d’inspiration. J’aimerais croiser de futures pilotes, inspirées par mon histoire, partageant la piste avec moi, que ce soit en compétition, lors de sessions d’entraînement, ou simplement pour le plaisir de la moto. Si mon parcours encourage quelqu’un à enfourcher une moto, alors mon objectif sera accompli.