Réflexion sur les huit semaines de travail des Bleus
À la clôture du Tournoi des 6 Nations, un cycle de deux mois de rigoureuse préparation s’achève pour le XV de France. Outre le jeu, l’évolution physique des joueurs a été une priorité dans ce rugby de haut niveau. C’est l’occasion de faire un point avec Nicolas Jeanjean, directeur de la performance, qui loue l’investissement sans faille des joueurs de l’équipe.
Nicolas Jeanjean, architecte de la performance
Ancien joueur renommé ayant évolué au Stade Toulousain, Stade Français et Brive, Nicolas Jeanjean rejoint en 2018 le staff du XV de France pour superviser la préparation physique. Présent lors de la Coupe du monde au Japon en 2019 puis sur le sol français en 2023, il succède à Thibault Giroud comme responsable de la performance, un domaine essentiel pour se mesurer aux meilleures équipes internationales. Alors qu’il s’apprête à quitter Paris ce dimanche, il partage avec enthousiasme le bilan du dernier Tournoi des 6 Nations, remporté par les Bleus, en rendant un hommage appuyé à son équipe de préparateurs et scientifiques, composée de Gaëtan Boissard, Manu Plaza, Quentin Rinaldi et Nicolas Lopez.
Une gestion minutieuse des huit semaines
Comment avez-vous orchestré ces deux mois de compétition, depuis le rassemblement des joueurs à la mi-janvier jusqu’à la conclusion du Tournoi ce week-end ?
Ce Tournoi s’étend sur une période qu’on connaît bien maintenant, mais nécessite toujours des ajustements. Après le Tournoi post-Coupe du Monde de l’année passée, où les joueurs revenaient épuisés, cette édition a permis aux joueurs de bénéficier de véritables pauses entre les saisons et d’une préparation intense en amont. Les enseignements tirés de la tournée de novembre ont été mis en pratique. Les semaines ont été un savant équilibrage entre rencontres et pauses, s’appuyant sur des acquis précieux mais nécessitant continuellement des adaptations, chaque Tournoi étant unique.
Évolution et adaptation après la Coupe du Monde
Vous évoquez l’expérience de l’année passée. Était-ce une meilleure base de départ cette fois-ci alors que les joueurs sortaient usés de la Coupe du Monde ?
Effectivement, c’est le jour et la nuit. Les périodes ont été utilisées judicieusement cette fois. Les joueurs ont pu se ressourcer après la saison dernière et ont travaillé efficacement pendant l’intersaison avec leurs clubs. Par conséquent, la méthodologie initiée lors de la tournée de novembre visait à être consolidée pendant ce Tournoi, en visant la performance la plus aboutie possible sur le terrain.
Après la Coupe du Monde, le mental avait aussi été mis à rude épreuve. Ce paramètre a-t-il eu son importance ?
Absolument. Le retour à la compétition après la Coupe était un défi, avec la déception de la performance antérieure à digérer. Refléter l’énergie nécessaire pour repartir sur une saison de club, puis à un niveau international, avait été complexe pour les joueurs. Ils ont fait preuve d’un courage admirable, progressant nettement en fin de Tournoi, chose qui s’est confirmée cette année avec un renouveau physique et psychologique sans pareil.
L’importance du mileu de saison
Le sélectionneur Fabien Galthié souligne régulièrement l’intensité différente du Tournoi des 6 Nations. Qu’en pensez-vous sous l’angle des états de forme des joueurs ?
C’est un moment charnière de la saison sportive. L’enthousiasme de début de saison s’éloigne peu à peu, modifiant ainsi les états de forme des joueurs. Tous ne suivent pas le même rythme, certains connaissent des blessures ou des périodes plus intenses en matchs. Par exemple, la première semaine du Tournoi est impactée par les rencontres de Coupe d’Europe, contraignant de nombreux clubs et joueurs à une intense activité le dimanche. Malgré les challenges, il est évident que l’état de nos forces était davantage en forme qu’en 2024.
Construire une équipe performante
Quels traits souhaitez-vous développer chez ces joueurs, compte tenu des divers profils ?
La stratégie était claire : intensifier les performances du groupe. Dès le premier affrontement face au pays de Galles, considéré plus abordable, l’idée était de bâtir la condition physique nécessaire pour aborder les deux dernières semaines de matches dans un état optimal. Des semaines sans matchs ont permis aux joueurs de retrouver de la fraîcheur et de travailler des axes d’intensité ciblés. Leur attitude a été exemplaire ; conscients que seul le travail mène au succès, ils ont fait preuve de sérieux tout au long.
Le style de jeu des Bleus a changé, exigeant plus de possessions. Avez-vous adapté la préparation en conséquence ?
Oui, notre approche de jeu s’est nuancée avec l’accent sur la possession, obligeant les joueurs à embrasser pleinement notre système offensif. L’enjeu principal reste l’adaptation du système défensif aux exigences de cette pratique. La condition physique doit soutenir notre défense pour faire face aux assauts adverses, et la préparation a été pensée pour ça. Cette philosophie se répercute en attaque également, où l’utilisation coordonnée des ballons portés et des schémas offensifs exige une préparation intense.
Maximisation et microdosing
Avez-vous apporté une charge de travail supplémentaire aux joueurs ?
La méthodologie se résume à deux principes : développer l’équipe en travaillant prioritairement sur le collectif, au détriment des blocs massifs de préparation physique. Une stratégie dite de « microdosing » a été adoptée, signifiant qu’au fil du Tournoi, de petites doses intenses de travail physique ont été appliquées, cumulant une charge globale significative sans empêcher la construction de l’équipe. Cette approche par petites touches a permis d’accroître la performance globale, chaque séance contribuant à une augmentation qualitative.
La forme physique a-t-elle fait la différence lors du match contre l’Irlande ?
Nous avons dominé l’Irlande aussi bien physiquement que stratégiquement. Les joueurs ont surpassé physiquement l’adversaire, permettant de déployer notre stratégie offensive tout en exploitant les espaces. Ce match illustre parfaitement notre objectif : utiliser notre supériorité physique pour donner vie à notre projet de jeu. Sur le terrain, un joueur exploite 80-85% de son potentiel, notre démarche était de pousser cette limite à 90-92%, augmentant ainsi les chances de succès par l’exploitation des espaces et des contre-attaques.
Fin du Tournoi et perspectives
Quel a été le déroulement du dernier match, un sentiment de difficulté s’étant fait sentir ?
Le match contre l’Écosse a présenté des défis, l’énergie infusée sur le terrain étant davantage en faveur des Écossais. La complexité de renverser cette tendance, surtout lors de la première mi-temps, était palpable. Ce phénomène est difficile à expliquer avec précision, mais il n’y a pas eu de perte notable de capacités physiques d’une semaine à l’autre. Se pourrait-il simplement que l’énergie collective ait été meilleure de leur côté lors de cette rencontre.
Alors que les joueurs retrouvent maintenant leurs clubs, quels sont les échanges prévus pour la suite?
La relation entre notre préparation physique nationale et celle des clubs est cruciale. Nous avons des adversaires en sélection, mais nos partenaires restent les clubs. Les joueurs ont montré énormément de courage pendant le Tournoi et ont su se dépasser, contribuant pleinement à la victoire. De retour chez eux, l’objectif est de partager l’expérience vécue durant le Tournoi avec les préparateurs de clubs, afin de continuer à viser juste pour cette fin de saison. C’est un équilibre devenu naturel à gérer pour nous.
Votre plan s’étend-il jusqu’à la prochaine Coupe du Monde ou progressez-vous saison après saison ?
Les blocs de compétition à court terme sont déjà identifiés, toutefois notre méthodologie s’envisage sur le long terme. Nous souhaitons collaborer avec les clubs en ce sens, car notre ambition n’est pas limitée aux seules périodes de rassemblement. C’est dans la continuité d’une saison complète, voire de plusieurs, que les progrès s’accumulent, surtout pour les jeunes joueurs. Pour cela, une vision partagée avec les clubs est indispensable afin de maximiser le potentiel de nos joueurs en vue de la prochaine Coupe du Monde.